Jour 17 : « Bête » de concours
Certes, la publication d’un roman par un éditeur n’est pas vraiment un concours dans le sens strict du terme. Pour autant, dans toutes les anthologies de nouvelles auxquelles j’ai eu le privilège d’apparaître, c’est bel et bien à la suite d’un concours. Bref, même si j’en fais de moins en moins pour cause d’écriture de romans, il faut bien reconnaître que j’ai apprécié ces challenges littéraires permettant de « croiser le fer » avec des comités de lecture et de recueillir des critiques constructives.
Parmi ces concours, certains ne se sont pas terminés par des publications, ne laissant derrière eux que la joie d’avoir vu son texte retenu et présenté aux lecteurs présents. Je citerai ce concours d’écriture à la Médiathèque de Biesheim où l’ambiance était si agréable que le souvenir m’en ait resté.
Depuis, ce texte « lauréat » est devenu l’un de mes marque-pages fétiches distribués aux visiteurs des salons du livre et autres manifestations auxquelles je participe. Je vous le livre ainsi, j’espère que vous apprécierez.

RETOUR AUX SOURCES
Une petite clairière entourée d’un immense rideau impénétrable d’arbres servait d’écrin à une rivière serpentant au travers en emplissant le silence des bois de son murmure reposant. Le soleil au zénith baignait les lieux d’une clarté parfaite et formait de minuscules arcs-en-ciel dans les reflets de l’eau pure. Une femme entra dans la zone dépourvue d’arbres. Telle une dryade mythique, elle était entièrement nue, et, tout comme un esprit des bois, elle apparut brusquement dans l’espace formé entre deux troncs proches.
Elle demeura un long moment immobile, debout à la bordure de la clairière, se contentant d’observer son environnement à la manière d’un explorateur découvrant d’antiques ruines oubliées. Enfin, elle se mit à marcher lentement. Le sol couvert de mousse se révéla incroyablement doux pour ses pieds à la peau tendre.
Parvenue près de la rivière, la femme s’assit sur une pierre plate. Se penchant en avant, elle plongea son regard dans l’eau limpide glissant sur les galets rendus lisses par le courant. Le bruit produit par le ruisseau semblait la bercer, l’hypnotiser même. Autour d’elle, pas un son ne troublait sa rêverie. La vision du liquide la ravissait. Elle en appréciait la pureté et la liberté, y découvrant milles formes enchanteresses.
Mue par son instinct et grisée par le moment magique, la femme se coucha à même la terre. Malgré sa nudité, elle n’avait pas froid. Le soleil toujours à la verticale la réchauffait aussi efficacement qu’une combinaison. Son contact avec le sol n’était pas désagréable, loin de là. La mousse s’avérait douce contre sa peau nue. Ses doigts caressaient maladroitement la surface, désolée de ne pouvoir en sentir le grain. Cependant, se trouver ainsi allongée lui donnait la sensation de communier avec l’essence profonde de cette Terre qu’elle n’avait pas connue. Fermant les yeux, elle se laissa emporter dans le monde onirique de son imagination, bercée par le doux son de l’eau proche. En esprit, elle marchait longuement dans des forêts, se baignait dans des cours d’eau, laissait le soleil caresser sa peau nue, vivait de fruits offerts par la nature, respirait un air pur non recyclé.
Un courant d’air froid la fit frissonner, la forçant à se relever prestement. Autour d’elle, rien ne paraissait avoir changé : le soleil brillait toujours au même endroit et le murmure incomparable du ruisseau emplissait le silence. Pourtant, la femme sentait que son temps s’achevait. Comme pour confirmer sa crainte, une voix impersonnelle, métallique, inhumaine même, chuta sur les lieux à la manière d’un couperet sur une nuque innocente :
« Numéro 29.68.08.17, votre crédit arrive à expiration ! »
Contrite, la femme retourna entre les arbres d’où elle était apparue moins d’une heure plus tôt. Après un ultime coup d’œil en arrière, elle s’y glissa en frissonnant, son corps souffrant brusquement du froid.
Battant des paupières, elle se retrouva sur un lit métallique dans une petite salle entièrement blanche à l’éclairage blafard. Au-dessus d’elle, un homme en combinaison claire achevait de débrancher les nombreuses électrodes courant sur son corps nu. Son travail achevé, c’est sans un mot que l’opérateur lui désigna la seule porte permettant de quitter la pièce. S’exécutant en grelottant, la femme nommée 29.68.08.17 se retrouva dans le vestiaire où l’attendaient ses vêtements. De nouveau habillée, elle regagna la sortie en traversant la salle d’attente. Cette dernière s’avéra toujours vide, comme au moment de son entrée. Bien peu pouvaient en effet payer pour un tel dépaysement. Elle-même avait dû économiser une année durant pour s’offrir ce luxe éphémère.
Se retrouvant dans la coursive entièrement métallique courant le long de la coque extérieure, elle ne put s’empêcher de s’approcher d’un petit hublot. En contrebas, elle voyait distinctement la planète berceau de l’humanité dont elle était la descendante. La Terre n’était plus bleue depuis longtemps : la pollution et les catastrophes climatiques avaient fait leur œuvre. Forcés de quitter la surface devenue invivable, les humains s’étaient réfugiés dans l’espace au cœur de stations spatiales aseptisées. À leurs bords, les survivants travaillaient sans relâche à l’entretien de ces énormes bases se dégradant constamment. Du moins, les ouvriers ! Car les nantis, eux, se contentaient de profiter des vastes fermes hydroponiques situées dans les niveaux supérieurs.
Se détournant de la vision de la Terre dévastée, la femme nommée 29.68.08.17 prit la direction de sa cabine. Son voyage virtuel dans le passé avait été pris sur son temps de repos. Il ne lui restait plus qu’à changer de vêtements avant de retourner au travail. Cependant, malgré le coût exorbitant de l’opération et l’absence de sommeil qui la fatiguerait durant au moins trois cycles, son âme s’en trouvait gorgé de plaisir. Suffisamment pour lui donner envie d’économiser encore pour s’offrir de nouveau ce luxe dès que possible…